vendredi 19 septembre 2008

Les Jardins Suspendus ou le fort de Sainte-Adresse : quelques pages inédites de l'histoire locale

Mon ami, François Vaudour, est un des meilleurs spécialistes de l'histoire militaire du Havre. Son site sur le 329 e régiment d'infanterie fait référence. Nous avons parfois conversé ensemble sur le fort de Sainte-Adresse en convenant qu'il y avait peu de documents sur ce sujet. Je viens de rassembler quelques éléments qui peuvent éclairer l'histoire de cet endroit. J'avais fait des recherches sur ce sujet autrefois sans les avoir publiées. Je dédie ce bref article à François Vaudour et à mon ami Olivier P..., très concerné par ce sujet.


Dès 1787, il y avait un projet de fort de Sainte-Adresse sur le haut de la cavée de Sanvic. Les habitants pétitionnèrent contre ce projet. Ils réclamaient, en 1788, une très forte indemnité pour les terrains concernés dans un " mémoire d'observations ou pétition des habitants du Havre s'élevant contre la construction de forts détachés sur les hauteurs de Sainte-Adresse et d'Ingouville." Finalement le projet fut abandonné car, à la veille de la Révolution, il y avait d'autres problèmes à régler et on se hatâ de clôturer la ville.


Quelques dizaines d'années plus tard, le projet refit surface. Toutefois, la création d'un fort de Sainte-Adresse fut, une nouvelle fois, " en apparence " mal accueilli par les habitants. Il imposait, en effet, des servitudes de ne pas construire des bâtiments autour de lui. Les maires de Graville, du Havre, d'Ingouville, de Sainte-Adresse et de Sanvic écrirent même une Pétition aux Pairs et Députés le 23 avril 1846 pour réclamer de l'argent. Ils parlaient de " spoliation, de ruine complète à cause des servitudes imposées ". Ils demandaient une indemnité proportionnée aux dommages. En réalité, on peut penser qu'il s'agissait surtout d'obtenir une compensation financière élevée car tout le monde s'accordait sur la nécessité d'enlever l'ensemble des murailles qui enserraient Le havre, l'étouffaient et l'empêchaient de se développer. Grâce aux forts, notamment celui de Sainte-Adresse, la ville réussit à se débarasser de son corset de fortifications.


A l'origine, le fort de Sainte-Adresse avait pour but d'appuyer la batterie de Sainte-Adresse. Est-ce de là qu'il tire son nom ? C'est tout-à-fait possible. Je me souviens avoir entendu dire qu'on l'avait aussi appelé ainsi pour tromper l'ennemi et qu'il ne parvienne pas à le situer correctement. Je pencherai plutôt pour la première hypothèse. Le fort de Sainte-Adresse devait surveiller la petite rade et la passe nord-ouest. Il dominerait aussi le plateau de Sanvic et la partie nord du Havre. Il n'avait donc pas qu'une fonction de défense maritime. Il était prévu pour contenir 300 hommes à son origine. Il devait coûter 2 millions de francs de fortifications, 495 000 francs de bâtiments et 205 000 francs d'acuisition soit un total de 2 millions 700 000 francs d'après la délibération du comité des fortifications du 26 mars 1846. Je ne sais pas combien il a coûté "réellement" mais, étant donné qu'un franc 1850 vaut environ 2,53 € 2006, cela donne environ 6 millions 800 000 euros de nos jours.


Plusieurs centaines d'ouvriers russes, capturés pendant la guerre de Crimée, construisirent le fort à la pelle et à la pioche. J'évoque maintenant une hypothèse qui m'est personnelle. Ces hommes avaient peut-être déjà participé à la fortification de Sébastopol, une place forte de Crimée très difficile à conquérir. Parmi les 35 000 hommes qui défendaient cette ville, il y avait 5000 ouvriers. Eduard Totleben, général russe d'origine allemande, avait réussi à fortifier cette cité avec de nouveaux types de fortification. Le nouveau savoir-faire des Russes en matière de défense avait peut-être intéressé les militaires Français, marqués par le siège de Sébastopol.


A ce sujet, j'ai découvert sur un blog, celui très bien fait d'Yllen, que les arches du fort de Sainte-Adresse ressemblaient à celles du viaduc de Paris, appelé aussi viaduc de la Bastille et désormais viaduc des Arts. En cherchant des renseignements, on découvre que ce monument parisien fut construit en 1855 ou 1859, c'est-à-dire au même moment que le fort de Sainte-Adresse. Ce viaduc a fait l'objet d'une restauration architecturale qui intégre de la verdure. Il s'agit d'un autre point commun avec nos Jardins Suspendus. J'ai découvert aussi, lors de mes recherches, que c'est un entrepreneur parisien, François Garnier, qui avait construit le fort de Sainte-Adresse et de Tourneville. Avait-il participé à la construction du viaduc précédent ou des forts de la ceinture parisienne ? Le fort du Mont-Valérien, par exemple, avait été édifié dans les années 1840. La plupart de ces constructions de la région parisienne comportaient une cour où s'élevaient des casernes à deux ou trois étages. Une comparaison entre les forts Havrais et Parisiens n'a, à ma connaissance, jamais été réalisée.


Certains faits ont marqué l'histoire du fort. On découvrit, ainsi, à proximité de ce monument, en 1874 , le corps d'un homme qui avait été assassiné. C'est l'affaire "Jodon" dont parle Eddy Simon dans son livre assez récent " Les grandes affaires criminelles de Seine-Maritime ". Le meurtrier fut passé par les armes en 1875.

Un peu plus tard, dans les années 1880, on pensait que la présence du fort contaminait les eaux environnantes. En 1885, en effet, une épidémie de fièvre typhoïde se déclara dans le quatrième bataillon du 129 e de ligne. Dix cas furent constatés en deux jours. ( Source : journal La Croix du 25 mars 1885 ) Les troupes évacuèrent alors le fort et campèrent aux environs. Cela inquiéta le voisinage et les analyses d'eau furent faites dans ce secteur pendant plusieurs décennies pour vérifier que tout était normal.

En 1895, le fort de Sainte-Adresse reçut la visite du Président de la république, Félix Faure, en personne ! Les Jardins Suspendus ont donc déjà reçu , dans le passé, une visite présidentielle. Ce fait semble ignoré jusqu'à maintenant mais, à mon avis, cette information ne manquera pas d'être reprise...


Un autre personnage connu a un rapport avec le fort de Sainte-Adresse. Ainsi, l'écrivain Alphonse Allais, de manière assez drôle, dans ses oeuvres anthumes, conseille à des artilleurs du fort de Sainte-Adresse de tirer " deux ou trois bons obus sur ce ridicule Honfleur" pour se venger de cette cité où ils ont été mal accueillis. Il faut rappeler, dans ce genre, qu'il existait des exercices de tir entre le fort de Sainte-Adresse et des navires en mer qui se déplaçaient rapidement afin que les artilleurs ne puissent ajuster leurs tirs.


Pour terminer, d'après ma mémoire, un projet de jardin botanique à l'intention du grand public et surtout des scolaires avait été évoqué dès 1993 mais il concernait le fort de Tourneville. Finalement, ce sera le fort de Sainte-Adresse qui deviendra ce jardin botanique !

Photo du viaduc des arts à Paris.

2 commentaires:

François Vaudour a dit…

Merci beaucoup Jean Michel pour ces précisions sur le fort de Saint-Adresse à propos duquel j'avais écris un article dans le bulletin de liaison du Centre Havrais de Recherches Historiques.
Je ne savais pas que le projet de construction du fort était si ancien !

Amicalement

François Vaudour

Anonyme a dit…

Bonjour jean-michel, très bon article, sérieusement construit que je découvre avec un peu de retard.
Bien cordialement.
NICEPHORE